MARQUÉE PAR LA RENCONTRE DE DEUX FLEUVES, LE RHÔNE ET LA SAÔNE, LYON OBSERVE AVEC IMPATIENCE L’ARRIVÉE D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE CHEFS. CAPITALE CULINAIRE DE LA FRANCE, LA VILLE COMPTE PLUS DE QUATRE MILLE RESTAURANTS ET CONTINUE À INTÉGRER À SON CARACTÈRE HISTORIQUE FORT LES INNOVATIONS QUI ONT FAIT D’ELLE L’UNE DES VILLES LES PLUS MODERNES D’EUROPE.
Texte : Salvador Llopart. Photos : Flaminia Pelazzi
Tsuyoshi Arai (à droite), le chef japonais basé à Lyon, dans son restaurant étoilé Au 14 février. Le chef Takao Takano, dont le restaurant a deux étoiles Michelin (à gauche).
Tsuyoshi Arai est arrivé à Lyon poussé par son amour de la cuisine française. Il y a vingt ans, il a quitté Tokyo, où il avait suivi une formation de chef, pour s’installer dans la capitale de la « nouvelle cuisine », déterminé à devenir plus français que les chefs français eux-mêmes. Son restaurant Au 14 février a une étoile Michelin. Le chef japonais est devenu l’une des stars de la révolution tranquille en cours dans les restaurants les plus agités de Lyon.
Ce n’est pas le seul chef japonais de la ville. Le restaurant de son compatriote Takao Takano a lui aussi été récompensé de deux étoiles Michelin, comme le restaurant Paul Bocuse actuellement (il en avait trois), perpétuant l’héritage du maître. « Nous, les Japonais, faisons une nouvelle cuisine made in Japan », plaisante Arai, qui ne croit pas aux mots comme « fusion », « accord » ou « synthèse ». « Nous avons pour base la cuisine française traditionnelle, ouverte à l’influence de l’avant-garde », explique le chef japonais en se préparant pour une nouvelle soirée dans son restaurant.
Pour se rendre dans le coquet Au 14 février, il faut se perdre dans la vieille ville. C’est là que les célèbres traboules – des passages presque secrets d’origine incertaine – relient entre elles les rues du Vieux Lyon. Les restaurants, bistrots et brasseries les plus traditionnels se succèdent partout. Lyon, marquée par la rencontre de deux fleuves, le Rhône et la Saône, observe avec impatience l’arrivée d’une nouvelle génération de chefs.
La gastronomie exporte le nom de la ville dans le monde entier depuis des années. Ce n’est pas un hasard si Lyon et ses environs concentrent pas moins de 19 restaurants étoilés Michelin, qui réunissent 23 étoiles au total. « La nouvelle cuisine est à l’origine de ce que l’on entend par restauration moderne », explique le jeune chef Diego Mateo, formé au centre de recherche gastronomique de la Cité internationale de la gastronomie. « Mais nous prenons en compte les contributions de Ferran Adrià, des frères Roca et, bien sûr, de mon professeur, Javier de Andrés », explique le jeune chef vénézuélien. « Nous étudions les arômes naturels et nous avons une préférence pour les produits locaux, comme Bocuse », explique Mateo avec la conviction lumineuse de ses 24 ans. « Mais nous ne dédaignons pas la cuisine en tant qu’espace d’innovation ».
Le chef Diego Mateo a quitté le Venezuela pour s’installer dans la cuisine du laboratoire de la Cité internationale de la gastronomie.
Une halte dans la rue. À Lyon, les cafés sont un point de rendez-vous toute l’année.
L’objectif de chaque chef est de transformer chaque menu en une expérience. Les restaurants les plus agités de Lyon sont, plus que des cuisines, d’authentiques laboratoires de création. Mais l’horizon reste l’amour de la gastronomie traditionnelle, sans oublier le bon sens, propre à Bocuse. « Monsieur Paul », comme le célèbre chef décédé en 2018 est encore appelé à Lyon et dont le souvenir est très présent dans la ville, était fier de ses origines paysannes. Élu « chef du siècle » en 1989 par le guide gastronomique Gault et Millau, Bocuse déclarait : « Pour moi, la bonne cuisine, c’est quand on soulève le couvercle, que ça fume, que ça sent bon et qu’on peut se resservir ».
Le Bistrot de Lyon, au 62 rue Mercière, est un établissement mythique dédié à la cuisine traditionnelle française.
Lyon doit beaucoup à Paul Bocuse. Surtout son titre de capitale culinaire de France. Aujourd’hui, la ville compte plus de quatre mille restaurants, dont des traditionnels bistrots et bouchons (des établissements pittoresques où sont préparées des recettes typiques, généralement à base de porc). Sans oublier que ces endroits offrent la possibilité de déguster les vins de la région, comme le fameux beaujolais. Des noms tels que Le Bistrot de Lyon ou le plus modeste Bistrot du Palais marquent une ligne dont le principal exposant reste la Brasserie Georges : sa grande salle, en activité depuis le début du XIXe siècle, ne désemplit pas.
En tant que directrice de l’hôtel Mercure, Marta Pardo-Badier (à gauche) a vécu la transformation de Lyon en ville cosmopolite. Christian Lamairine (à droite), jeune serveur et apprenti chef aux Halles de Paul Bocuse, rêve de posséder un jour un restaurant à Lyon.
« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point Lyon a changé ces dix dernières années », explique Marta Pardo-Badier, directrice du Mercure Lyon, l’hôtel moderniste situé à côté de l’ancienne gare où le célèbre Orient Express s’arrêtait en direction d’Istanbul. « C’était une ville conservatrice qui est devenue, sans perdre sa tranquillité, une ville moderne, ouverte aux innovations ».
Christian Lamairine, jeune serveur et apprenti cuisinier aux Halles de Lyon Paul Bocuse, un ancien marché converti en temple de la dégustation culinaire, est d’accord avec Marta. Dans ses installations se concentrent une cinquantaine des meilleurs boucheries, charcuteries et fromageries de la ville, sans oublier les restaurants de fruits de mer et huîtres. « Lyon a tous les avantages de Paris et peu de ses inconvénients », assure-t-il.
Rencontres au bord du fleuve. La confluence du Rhône et de la Saône marque la ville de Lyon.
Un nouveau Lyon est en train d’émerger dans le quartier de La Confluence, où les deux fleuves de la ville se rencontrent. Le musée des Confluences est le symbole le plus évident de la transformation. Mais le nouveau quartier, foisonnant de cafés et de fast-foods, n’a pas encore l’essence gastronomique du Vieux Lyon ou du centre-ville. Alors qu’il porte des plateaux d’huîtres dans les Halles de Lyon Paul Bocuse en rêvant de son propre restaurant, Christian est clair : « Lyon est la ville de la restauration : c’est l’endroit où il faut être ».